John Cage
Même si on ne peut fredonner du John Cage, même si parfois il déroute même les plus assidus, il fau avoir pour cet infatigable chercheur un très grand respect. C’est un explorateur qui à ce titre a ouvert des voies jusqu’ici insoupçonnées. Il semble maintenant difficile d’aller plus loin. On l’écoute non pas avec plaisir mais avec intérêt…
DD…
5 septembre 1912
John Milton Cage, Jr., naît à Los Angeles.
1938
John Cage entame ses recherches sur le piano préparé à la Cornish School of the Arts de Seattle.
1939
John Cage compose Imaginary Landscape no 1, qui constitue l’acte de naissance de la « musique électronique vivante » (live electronic music), et First Construction (in Metal), pour sextuor de percussions.
1940
John Cage compose Bacchanale, solo for piano prepared, une pièce pour piano préparé solo destinée à accompagner un ballet de Syvilla Fort.
1942
John Cage entame sa collaboration avec le chorégraphe Merce Cunningham ; il compose pour ce dernier Totem Ancestor, pour piano préparé, et In the Name of the Holocaust, pour piano préparé.
1944
John Cage compose A Book of Music, for two prepared pianos (« Un Livre de musique, pour deux pianos préparés »).
1946-1948
John Cage compose Sonatas and Interludes, pour piano préparé.
1950
John Cage s’initie au Yi Jing (ou I Ching : Livre des mutations), un recueil d’oracles chinois qui lui donne les bases nécessaires pour élaborer des œuvres fondées sur le hasard.
1951
John Cage compose Concerto pour piano préparé, Imaginary Landscape no 4 or March no 2, pour douze postes de radio, et Music of Changes, pour piano, pièce dédiée à David Tudor et dont les hauteurs, les timbres, les rythmes, les tempos et les durées sont dictés par les lois du hasard issues du Yi Jing.
1952
Le silence devient partie intégrante des œuvres de John Cage, avec la première « composition silencieuse », 4’33’’ (« donnée » pour la première fois à Woodstock le 29 août 1952, par David Tudor), où le pianiste reste assis face à son instrument sans jouer une seule note durant ce laps de temps ; un dispositif électronique rediffuse cependant le bruit de fond de la salle. John Cage compose William Mix, pour quatre bandes magnétiques, qui assemble plus de six cents sons ou bruits préenregistrés ; il s’agit d’une des premières pièces pour bande magnétique créée aux Etats-Unis.
1963
John Cage atteint le sommet de la radicalité en composant les Variations III et les Variations IV, pour « n’importe quel nombre d’exécutants, n’importe quels sons ou combinaisons de sons produits par n’importe quels moyens ».
9 février 1964
Leonard Bernstein à la tête de l’Orchestre philharmonique de New York crée Atlas Eclipticalis, pour ensemble non précisé, où l’aléatoire est issu de cartes des constellations ; événement unique dans l’histoire de la création musicale, les musiciens sifflent le compositeur dont ils viennent d’interpréter l’œuvre tandis que les spectateurs prennent la fuite.
1967
John Cage compose Musicircus ; avec cette pièce, il offre aux exécutants – venus de différents pays et appartenant à différentes traditions musicales – la possibilité de participer à un événement totalement dépourvu de structure : un happening, dont il passe pour être l’inventeur.
1967-1969
John Cage compose, avec la collaboration de Lejaren A. Hiller, HPSCHD, pour de un à sept clavecins amplifiés, de une à cinquante et une bandes magnétiques, des projecteurs de films et d’images.
1973-1976
John Cage compose Empty Words, pièce qui traite de l’incommunicabilité : chaque partie instrumentale joue sans se préoccuper de la cohérence de l’ensemble.
12 décembre 1987
Europeras 1 & 2 est créé au Schauspielhaus de Francfort-sur-le-Main ; avec ce qu’il nomme un opéra mais qui est en fait un spectacle multimédia, John Cage renouvelle l’expérience de Musicircus en invitant les participants à méditer sur l’opéra comme institution sociale.
12 août 1992
John Cage meurt à New York.
Prise de vue
Du compositeur américain John Cage, on peut dire d’ores et déjà qu’il a été l’un des musiciens les plus importants de la seconde moitié du XXe siècle – bien qu’ayant été, et sans doute parce qu’étant le plus contesté. Il n’est certes plus à la mode aujourd’hui de taxer Cage d’amateurisme ; on ne s’en est cependant nullement privé jadis. Non seulement en effet les musiques dont il se rendait coupable n’obéissaient à aucune régularité interne – issues qu’elles étaient, en tout ou en partie, d’opérations de hasard –, mais leur agencement tendait à ne les rendre susceptibles d’aucune restitution constante : ne se voulaient-elles pas, à partir de 1958, « indéterminées quant à l’exécution » ? Bref, elles ne se ressemblaient pas plus à elles-mêmes qu’elles n’étaient liées entre elles par un style. Même rétrospectivement, elles ne sont que rarement « reconnaissables » : elles manquent au plus haut point d’identité, comme si leur auteur avait eu à cœur de se faire oublier – ce qui, à notre époque, passera sans mal pour un défi... Plus gravement, et contrairement à ce que l’on affirme communément, les procédés de hasard auxquels John Cage confiait la responsabilité de la production de ses partitions ne sont chez lui jamais cultivés pour eux-mêmes : collages, juxtapositions, superpositions, fragmentations et autres tuilages, rien de tout cela ne vise la confusion ou le chaos ; ce qui est en jeu, c’est bien plus simplement l’autonomie de chaque événement. Et cet événement, ce happening, est toujours en lui-même multidimensionnel. Quand le jeune Cage, encore élève de Schoenberg, réunit un orchestre de percussions, ce n’est pas tant à l’instar du Varèse d’Ionisation (1931) qu’il décide d’œuvrer – en se servant des sons et des bruits comme de moyens au service de l’unique fin qu’est la production de l’œuvre –, il entreprend au contraire de mettre l’œuvre, le fait d’œuvrer, au service des sons, du jaillissement des sons dans leur matérialité de bruits. Comme si tout objet inanimé avait une âme : le son ; et comme si délivrer cette âme, donc faire miroiter la pluralité des dimensions de l’apparaître même de l’objet, représentait un idéal incommensurable avec celui de l’autoglorification du sujet tout préoccupé de se faire reconnaître comme compositeur... Impossible, par conséquent, de classer Cage parmi les musiciens « déductifs », en tenant ses musiques « non-syntaxiques » comme des cas limites de musiques « syntaxiques » : plus importante que la présence ou non d’une syntaxe ou d’une logique organisatrice est l’individualité de chaque son. Syntaxe et logique ne font jamais, aux yeux de Cage, que sélectionner les « bonnes » relations entre les sons, parmi toutes les relations ou affinités possibles ; d’où une écoute « policière » – on inventorie des relations, on n’entend plus les sons eux-mêmes. Et certes chez Cage le hasard, s’il avait fait l’objet d’une utilisation systématique, se fût lui-même donné à écouter. Tel n’est pas le cas : précisément parce qu’il assume ce que Pierre Boulez taxe d’inadvertance, Cage évite le piège de l’antimusique, c’est-à-dire d’une « non-musique » encore parfaitement consommable.
Entre le sens et le non-sens, il n’y a pas à décider, parce qu’en musique il ne s’agit pas de communiquer un sens. Conséquence : inutile de récuser à grands frais les syntaxes, les structures et les formes ; celles-ci ne seront évitées que dans la mesure où elles feraient obstacle à la libre manifestation des sons. Il faut désintellectualiser, démémoriser, décrisper l’accès à la musique. On s’aperçoit alors qu’« une oreille seule ne fait pas un être » : que le son est inséparable de tous les « non-sons » qui l’entourent, que la musique a partie liée – mais dans la déliaison – avec tous les autres arts (et non-arts) ; que toute sensibilité est plurielle, et que la plurisensorialité mène non pas à la fusion wagnérienne des arts (Gesamtkunstwerk), mais à leur libre rencontre dans des spectacles multimédias qui ravivent le sens de la fête. « La » musique n’est plus une mnémotechnie culpabilisante à vocation élitiste ou théocentrique, mais un gigantesque flux machinique païen-plébéien, auquel depuis Cage il n’est plus question d’échapper. Ce flux, Cage l’appelle silence : il est le laisser-être de toutes les rumeurs et de tous les bruissements du monde. Musica mundana : musical est le jaillissement de tout ce qui est, en tant qu’il advient ; musical est le monde. Alors, la musique transcende la musique...
Débuts et formation
Né le 5 septembre 1912 à Los Angeles, fils d’un inventeur réputé (John Milton Cage), John Cage fait de brillantes études secondaires. Parallèlement, il apprend le piano avec sa tante Phoebe, puis avec miss Fannie Charles-Dillon, compositeur ; il songe à vouer son existence à l’exécution des œuvres d’Edvard Grieg. Il étudie de 1928 à 1930 à Pomona College et se passionne pour les écrits de Gertrude Stein. Venu à Paris en 1930, il commence des études d’architecture ; il y renonce au bout de six mois, s’intéresse à la peinture, prend deux leçons de piano avec Lazare Lévy, et commence à composer. Après un périple qui le conduit à Biskra, Majorque, Madrid et Berlin, il commence à gagner sa vie, aux Etats-Unis, en prononçant des conférences d’initiation à la musique et à la peinture contemporaines. Un jour, afin de se documenter sur Arnold Schoenberg, il va trouver le pianiste Richard Bühlig, qui le prend comme élève à Los Angeles ; ses compositions de 1933 (Six Short Inventions, Sonata for Two Voices, Sonata for Clarinet), soumises à l’appréciation du compositeur Henry Cowell, retiennent l’attention de celui-ci. Cage devient son élève à New York et travaille également avec Adolf Weiss, qui l’enverra à Los Angeles, en 1934, étudier le contrepoint et l’analyse avec Schoenberg. C’est alors que le cinéaste abstrait Oscar Fischinger lui demande une musique de film. Fasciné par l’idée de Fischinger selon laquelle le son est l’âme d’un objet inanimé, il décide de composer en se consacrant aux percussions et aux rythmes. Impossible en effet de se contenter de la méthode dodécaphonique, qui relie « entre eux » les douze demi-tons du clavier tempéré et ne permet pas plus que l’harmonie traditionnelle d’outrepasser la limitation du son « musical » par rapport au bruit ; il convient donc, si l’on veut s’approcher de la nature des sons, de libérer les bruits. Invité, en 1937, comme compositeur-accompagnateur à la classe de danse de Bonnie Bird à Seattle, il y rencontre Merce Cunningham et compose sa première Construction in Metal. Dans une conférence intitulée Credo, il se permet de réclamer – en 1937... – la création de studios de musique « électrique »... Chargé, à l’automne de 1938, de composer une musique d’accompagnement pour le ballet Bacchanale, de Syvilla Fort, il invente le « piano préparé » en plaçant entre les cordes divers objets destinés à démultiplier le timbre de l’instrument : invention qui deviendra mondialement célèbre et vaudra en 1949 à son auteur le prix de l’Académie américaine des arts et lettres, « pour avoir reculé les frontières de l’art musical ». De 1939 date la première pièce « électronique » : l’Imaginary Landscape no 1, pour deux tourne-disques à vitesse variable, des enregistrements de sons sinusoïdaux de fréquences diverses, pianoassourdi et cymbales. Cage va devenir l’initiateur de la « musique électronique vivante », de la Live Electronic Music, qui travaille le son « à chaud », en liaison avec un contexte concret et ponctuel, et non pas en studio. Tendance que confirment les œuvres suivantes : Living Room Music pour percussion et Speech Quartet, puis, en collaboration avec le poète Kenneth Patchen, The City wears a slouch hat, pièce radiophonique comportant 250 pages de partition d’effets sonores imitant les bruits réels d’une ville (1941). Cage enseigne en 1941, à l’invitation de Laszlo Moholy-Nagy, au Chicago Institute of Design ; porté par le succès de sa musique, il est reçu à New York chez Max Ernst et Peggy Guggenheim en 1942 ; il y rencontre Piet Mondrian, André Breton, Virgil Thomson, Marcel Duchamp. Sa collaboration avec Merce Cunningham s’amorce cette même année, avec le ballet Credo in Us ; elle deviendra étroite en 1944 : Cage sera le directeur de la musique de la Merce Cunningham and Dance Company.
La tentation de l’Orient
Le concert du 7 février 1943 au Musée d’art moderne de New York avec Merce Cunningham, concert qui va imposer Cage dans les milieux de l’avant-garde, comporte la création de la suite Amores – deux pièces pour piano préparé et deux pièces pour trio de percussions – où s’expriment « l’érotique et la tranquillité, deux des émotions permanentes de la tradition de l’Inde ». Quand, en 1945, Cage s’installe à Monroe Street, il entreprend l’étude de la musique et de la pensée de l’Inde avec son élève en contrepoint, Gita Sarabhai, et devient pour deux années l’auditeur du Daisetz Teitaro Suzuki à l’université Columbia : ce dernier lui révèle le zen. Après le ballet The Seasons et la musique du film de Richter Dreams that Money Can Buy (1947), Cage, qui a lu la Dance of Shiva, de Coomaraswamy, « met en musique », dans les Sonates et Interludes pour piano préparé, les « neuf émotions permanentes » de la tradition de l’Inde. Le tournant est pris : dans la conférence Defence of Satie, prononcée l’été 1948 à Black Mountain College, Cage oppose aux musiques d’Occident, inféodées à la seule dimension harmonique, les musiques d’Orient qui ont su, par la subtilité du traitement qu’elles consentent au temps, sauvegarder, face au son, le silence. C’est l’idéal d’« interpénétration sans obstruction » de Suzuki : nul son ne doit faire obstacle à nul autre, non plus qu’à nul silence ; sons et silences peuvent alors s’interpénétrer. Le temps, c’est cette interpénétration même, racine de toute musique. Erik Satie et Anton von Webern ont réhabilité le temps : ils ouvrent la voie de la musique « vraie », qu’un Beethoven\ ne pouvait qu’occulter... Cette thèse, bien sûr, fait scandale. Mais le scandale n’émeut guère Cage, qui a trouvé sa voie, et peut-être la voie. Après un premier voyage en Europe (1949), il élabore, en contraste avec les idées de Boulez, une méthodologie de la dé-construction de l’œuvre : avec David Tudor, Morton Feldman, Christian Wolff et Earle Brown, il compose ses premières partitions « inexpressives », et introduit dans ses œuvres les premières procédures de hasard – moyen le plus commode de désarçonner la toute-puissance de la subjectivité et de faire de la musique un exercice d’éveil. Successivement, après les Sixteen Dances et la Music of Changes pour piano (1951), il écrit les Imaginary Landscapes no 4 (pour douze radios) et no 5 (pour bande magnétique), la Music for Carillon no 1 et la première « composition silencieuse », 4’33’’ (1952). Surtout, il profite d’un nouveau séjour à Black Mountain pour faire représenter un event dénué de titre, au cours duquel Merce Cunningham, Robert Rauschenberg, David Tudor, et les poètes Charles Olson et M.-C. Richards se joignent à lui pour juxtaposer, hors de tout plan préconçu, différentes actions relevant de disciplines artistiques distinctes. Ce sera, en fait, le tout premier Happening.
Musiques de l’indétermination
Cage, qui vivra de 1954 à 1966 dans une petite communauté d’artistes à Stony Point, au nord de New York, s’aperçoit que les champignons (mushrooms) font, dans tous les dictionnaires, partie de l’environnement de la musique (music). Il entreprend donc de les étudier, et va devenir un mycologue réputé : il contribuera à la fondation de la Société de mycologie de New York. L’exemple des champignons – et en général des « modes d’opérer de la nature » – le confirme dans la certitude de l’inadéquation de nos tentatives de rationalisation, face à la complexité de ce qui est. L’œuvre musicale, dès lors, doit cesser d’être murée dans sa clôture d’objet : il faut la laisser respirer avec ce qui l’entoure, et se faire processus ; les déterminations qui lui sont prescrites de l’extérieur risquent de la mutiler. Dans cet esprit, la superposition et la juxtaposition, dans le happening, d’initiatives non exclusivement sonores, mais aussi bien poétiques, plastiques, visuelles en général, débouche sur une dé-sémantisation généralisée, laquelle affectera les textes, écrits et conférences du penseur John Cage au même titre que ses musiques. C’est l’époque de l’indétermination : Cage voyage en Europe avec Tudor (1954), écrit des partitions en se servant des imperfections du papier (Music for Piano, 1955), enseigne à la New School for social research (de 1956 à 1960), où il aura des disciples fervents – George Brecht, Al Hansen, Dick Higgins, Toshi Ichiyanagi, Alan Kaprow, Jackson McLow – ; l’exécution, au concert de rétrospective de ses vingt-cinq premières années d’activité (organisé par George Avakian en mai 1958), de son Concert for Piano and Orchestra, superposition de solos distincts, d’une partie de chef d’orchestre sans rapport avec ces solos, et d’une partie de piano écrite selon quatre-vingt-quatre procédures de notation distinctes – sans compter la possibilité de jeu simultané d’un certain nombre d’autres partitions : Aria, Solo for Voice I, Winter Music, Fontana Mix... – fait sensation. Dans la mouvance de cette création, des pièces comme Variations I (1958), Cartridge Music et Theater Piece (1960), et Atlas Eclipticalis (1961) conduisent à la théâtralisation du jeu instrumental et électro-acoustique. Une exécution « en temps réel » des Vexations de Satie, avec leurs 840 da capo, ouvre, en 1963, la porte aux musiques « planantes » : sa durée dépasse dix-huit heures d’horloge...
L’épanouissement : une pratique de la fête
Le premier « grand » livre de Cage, Silence, anthologie de ses écrits et conférences, paraît en 1961 ; la critique y discerne, outre la patte d’un extraordinaire écrivain, le premier ouvrage-partition : impossible de le lire sans réaliser « musicalement » ce qui s’y trouve décrit, à savoir la musicalité de l’environnement, quel qu’il soit, qui entoure le lecteur à l’instant précis, quel qu’il soit, de sa lecture. Impossible, dès lors, de se dérober à l’évidence cagienne : au lieu que l’art investisse des espaces ou moments distincts, séparés de la quotidienneté, les dimensions de l’œuvre deviennent celles mêmes de notre espace de jeu temporel (Zeit-spiel-raum de Heidegger) ; ce que la musique (sonore, mais aussi bien écrite, pensée, conceptuelle) de Cage nous force à éprouver, c’est la non-différenciation esthétique au sens du philosophe allemand Hans-Georg Gadamer. Un tel enseignement conduit à remettre en question l’isolement traditionnel, romantique ou post-romantique, du créateur. Impossible après Cage de se cantonner dans les « morceaux solipsistes pour grand orchestre » que raillait déjà le philosophe allemand Adorno, et qui condamnaient le XXe siècle musical à une délectation des plus moroses ! Les œuvres de Cage renouent au contraire avec la tradition d’avant l’ère de la subjectivité conquérante, d’avant la Renaissance – tout comme elles renouent avec l’Orient, en deçà de tout exotisme, de toute chinoiserie ou balinaiserie de convention. HPSCHD, pour 7 clavecins, 51 bandes travaillées (deux années durant) à l’ordinateur, 7 projecteurs de films et 80 projecteurs transmettant 10 000 vues de la N.A.S.A., est joué le 16 mai 1969 à Urbana devant 9 000 personnes ; on comptera 15 000 entrées pour le troisième Musicircus, celui des Halles de Baltard aux Semaines musicales de Paris, que dirige en 1970 Maurice Fleuret. Des œuvres de plus en plus ambitieuses naissent alors : ce sont les Song Books (1970), les ةtudes australes pour le piano (1974), Child of Tree pour plantes amplifiées (1975), Lecture on the Weather avec des enregistrements de tonnerre et d’orage (1975), Renga pour orchestre d’après 361 dessins de Thoreau, accompagné de l’Apartment House 1776, recueil de musiques « défectives » du XVIIIe siècle (1976), les Freeman Etudes pour le violoniste Paul Zukovsky (1977), les Thirty Pieces for Five Orchestras créées au festival de Metz (1981) ; une partition d’encore plus longue haleine pour chœur et orchestre : Muoyce, d’après les paroles de Finnegans Wake de James Joyce (1983).
Au-delà du musical
On n’a, dans tout ce qui précède, qu’effleuré les activités de John Cage ; Henmar Press, qui édite la musique du Maître de Stony Point, sous l’égide de Peters, en propose un catalogue impressionnant. Surtout, John Cage, auteur de Silence, a publié plusieurs autres recueils (A Year From Monday, 1967 ; M, 1971 ; en collaboration avec Alison Knowles, les Notations de 1969), et un livre d’entretiens (Pour les oiseaux, Conversations avec Daniel Charles, Paris, 1976 ; version définitive : For the Birds, New York-Londres, 1981). Auteur d’un Journal publié de façon intermittente (Diary : how to Improve the World, depuis 1965), il a ensuite expérimenté les possibilités de la « poésie sonore » (62 Mesostics Re Merce Cunningham, 1971 ; Mureau, 1972 ; Empty Words, 1974) et, de là, perfectionné une calligraphie et une typographie déjà extraordinairement travaillées dans certaines des partitions de l’époque de l’indétermination (1958), de façon à publier, selon des techniques par lui inventées, des « raccourcis » d’un roman comme le Finnegans Wake de James Joyce (Writing through Finnegans Wake, 1978 ; Writing for the Second Time through Finnegans Wake, paru dans l’édition du Roaratorio préparée par Klaus Schِning, 1982). De ce que Roland Barthes décrivait comme l’« écriture à haute voix », Cage était déjà fort proche au départ : des idéogrammes lui servaient à symboliser des timbres complexes dans les années soixante ; ses partitions s’exposaient alors dans des galeries d’art. Il avait sculpté, en hommage à Duchamp, des graphismes dans l’espace (Not Wanting to say anything about Marcel, 1969) ; en 1978, il travaille la gravure à la Crown Point Press à Oakland (Californie), et trois séries sortent en 1982 (Changes and Disappearances ; On the Surface ; Déreau). Enfin, des textes « non-syntaxiques » avoisinent, dans ses dernières productions (Themes and Variations, 1982), des dessins (Mushroom Book ; Mud Book...), repris d’époques plus lointaines. C’est dire la puissance de création de ce musicien, dont chacune des productions bouleversa les idées reçues, et qui réalisa simultanément à ses compositions « sonores », ou « théâtrales », des transferts de disciplines incessants.
Daniel CHARLES
Professeur de Philosophie
In the name of holocaust for prepared piano 1942
MP3 tome 1
Sonates and interludes for prepared piano 1946-1948
- Sonata I
- Sonata II
- Sonata III
- Sonata IV
- First interlude
- Sonata V
- Sonata VI
- Sonata VII
- Sonata VIII
- Second interlude
- Third interlude
- Sonata IX
- Sonata X
- Sonata XI
- Sonata XII
- Fourth intrelude
- Sonata XIII
- Sonata XIV and XV “Gemini”
- Sonata XVI
Naxos 8.554345
Winter music 1959
C° avec Winter music CD1
Atlas Eclipticalis 1961
C° avec Winter music CD1
103
“One11 and 103”
Cage has always linked various media and tried out new techniques in his work. He never loses the will to try out new experiments: 'I am quite old now, and so when I have the opportunity to do something I take it immediately, rather than hesitating, as I don't have much time left.' Cage said this about his first and only film, produced in the year he died. He started to address the perception of emptiness and at the same time the random quality of what happens in a prescribed space as early as 1952 in his piece 4‘ 33', which consisted entirely of silence. Forty years later he says: 'Of course the film will be about the effect of light in an empty space. But no space is actually empty and the light will show what is in it. And all this space and all this light will be controlled by random operations.' This simple concept was implemented professionally and with a great deal of technical input in a Munich television studio under the direction of Henning Lohner.
The film 'One11' and the musical piece '103' run in parallel, without relating directly to each other, but each has 17 parts. Each of the parts is based on approx. 1200 random operations devised by a computer and determining how the lighting is controlled in a completely empty television studio and the movements of a crane-mounted camera. The distinguished cameraman Van Theodore Carlson thus becomes the exponent of the compositions. The result is a film entirely without plot or actors, which Cage hopes will create scope beyond economic and political problems and enable viewers to find themselves.
1e mouvement
C° Cd1
2e mouvement
C° Cd2
Music for 4 fait partie d'une série d'oeuvres intitulée Musique pour--; que Cage a composée pour diverses combinaisons d'instruments. Cette version de l'oeuvre pour quatuor à cordes fut composée tout spécialement pour l'Arditti Quartet, à l'occasion d'un concert et d'un congrès célébrant la longue association de John Cage avec Wesleyan University. La partition se compose de quatre couches ou parties, qui doivent être jouées tout à fait indépendamment les unes des autres. L’oeuvre peut durer dix, vingt ou trente minutes; chaque partie en est entièrement notée, de sorte que les interprètes se bornent à choisir comment ils espaceront la musique à l'intérieur de chaque intervalle temporel, combien de fois ils répèteront le ton unique entouré de silence, et quelle durée ils donneront au silence entre chaque phrase Musicale. Les brefs interludes, de cinq, dix ou quinze secondes, doivent être joués à des moments déterminés. La coordination temporelle se fait à l'aide de quatre chronomètres.
L'autre élément caractéristique de l'oeuvre est la répartition spatiale: les interprètes sont tenus d'adopter une disposition non conventionnelle, par exemple loin les uns des autres. Ceci permet au public de percevoir la partition comme quatre phrases individuelles qui l'atteignent depuis quatre angles différents de l'espace. Il en résulte un équilibre sonore très différent du mélange homogène que nous avons normalement l'habitude d'entendre.
—Irvin Arditti
- Piste 1
- Piste 2
C° avec 30 Pièces for string quartet
Thirty Pieces for String Quartet doit son titre à l'oeuvre pour cinq orchestres composée en 1981. L’oeuvre repose sur une coïncidence de solos, comme la précédente reposait sur une
coïncidence d'orchestres de chambre. Les quatre parties sont indépendantes dans la partition. Chaque solo est microtonal, tonal, ou chromatique; ou bien il présente chacune de ces caractéristiques successivement, ou encore il les alterne par paires. Chacun débute à n'importe quel moment dans une période de quarante-cinq secondes, et se termine â n'importe quel moment d'une autre période de quarante-cinq secondes recouvrant de quinze secondes la précédente. De cette façon, un morceau peut être joué aussi vite que possible, ou bien il peut s'étaler sur une durée maximum de soixante-quinze secondes. L’oeuvre est dédiée au Kronos Quartet de San Francisco. Sa flexibilité de structure en fait, en quelque sorte, une musique à l'épreuve des tremblements de terre.
—John Cage
- Piste 1
- Piste 2
C° avec 30 Music for 4
STRING QUARTET IN FOUR PARTS 1949-50
En 1949, ayant achevé le premier mouvement de son Quatuor à Cordes en Quatre Parties, John Cage écrit la phrase suivante dans une lettre à ses parents: "Cette pièce représente une nouvelle porte qui s'ouvre; les possibilités qui s'y profilent sont infinies." A écouter le Quatuor, cette description de Cage semble pour le moins surprenante. L'impression que l'on en retire sur le coup est que ce morceau occupe un monde sonore très limité, qu'il est difficile de qualifier d'univers à possibilités infinies. Comment peut-on décrire cette oeuvre dépouillée et sans prétention en des termes aussi grandioses? S'il s'agit d'une oeuvre aussi révolutionnaire, comment expliquer qu'elle ne soit pas mieux connue? Peut-être est-ce en effet en raison de sa simplicité que ce quatuor à cordes est le plus souvent méconnu de ceux qui citent les grandes oeuvres de Cage. Flanqué de part et d'autre par ses morceaux pour percussion à rythmes complexes, ses morceaux pour piano préparé des années 40, et ses extraordinaires compositions aléatoires des années 50, ce modeste quatuor n'a pas retenu l'attention, éclipsé par ses voisins imposants.
En fait, John Cage compose ce quatuor à cordes alors que sa carrière est en période de transition, et que lui est en quête d'une nouvelle esthétique et d'un nouveau style. C'est à travers les écrits d'auteurs tels Ananda Coomaraswamy, un historien de l'art indien, et un mystique de l'époque médiévale, Meister Eckhart, que Cage arrive à la conviction que la musique doit avoir une fin spirituelle; elle doit "tempérer, apaiser l'esprit afin de la rendre perméable à l'influence divine." C'est dans ce but que Cage tente de créer une musique relevant de l'ineffable, qui permet à son auditoire de "s'oublier, envoûtés, et, par là, de se retrouver." Vers la fin des années quarante, alors que les objectifs qu'il recherche s'orientent de plus en plus vers la spiritualité, son style musical gagne en modestie. II annonce en 1948 qu'il "est impossible de penser et d'agir de façon probante en termes publiques," mais qu'il "est cependant possible de trouver la beauté en situation intime." II veut composer une musique qui ne perd en rien de son expressivité, tout en demeurant modeste et spontanée. A cette fin, il étudie la musique d'Erik Satie, musique d'une élégance perlée et de peu de moyens, et qui à ses yeux représente le modèle parfait de la composition telle qu'il voudrait la pratiquer. Sa quête le conduit à une fascination pour le silence; Il s'inspire des paroles de Meister Eckhart, qui prêche que "dans la tranquillité absolue et le silence, on entend la parole de Dieu." Alors qu'il est sur le point de composer le Quatuor à Cordes, Cage annonce à ses parents que ce sera une oeuvre qui, "sans véritablement faire appel au silence en ferait l'éloge."
Le Quatuor à Cordes en Quatre Parties reflète ces préoccupations de plusieurs façons. C'est une composition programmatique, ses quatre mouvements ou "parties" représentant les quatre saisons. Cage s'est en particulier inspiré de la représentation hindoue du cycle des saisons, dans laquelle le printemps, l'été, l'automne et l'hiver sont identifiés aux forces de la création, de la préservation, de la destruction et de la tranquillité. Le Quatuor commence avec l'été progresse d'automne en hiver, la musique devenant de plus en plus lente jusqu'à ce qu'elle soit "pratiquement figée." Le mouvement final, marqué par une reprise soudaine de la cadence, évoque ainsi la vigueur retrouvée de la création printanière. Conformément à son thème du cycle éternel et imperturbable des saisons, Cage adopte ici un style musical qui est en soi austère, limpide et serein. La musique est lente et relativement douce tout au long du morceau. La sonorité plate que l'on décèle dans l'exécution tient à ce que Cage demande aux musiciens de ne pas user de l'effet de vibrato. Le Quatuor ne présente pas de grandes envolées passionnelles ni d'effets dramatiques; sa voix est comme atténuée, sujette seulement à quelques inflexions subtiles.
Mais aucune de ces caractéristiques, le thème universel, le doigté peu appuyé, sans vibrato, la lenteur de la cadence, n'apparaissent pour la première fois dans la musique de John Cage en 1949, et ne peuvent donc représenter "la porte qui s'ouvre" à laquelle il tait allusion dans sa lettre à ses parents. C'est plutôt le traitement de l'harmonie dans ce quatuor qui constitue une innovation, et il a ici résolu un problème d'une importance capitale pour ses oeuvres futures. Car pour Cage l'harmonie est, de tous les éléments de la musique, le plus incompatible avec une approche spirituelle de l'art. II dit de l'harmonie que c'est "l'outil du commercialisme occidental," "un moyen permettant de rendre la musique impressionnante, bruyante et imposante." II s'oppose surtout à l'utilisation croissante de l'harmonie dans la musique du dix-neuvième siècle, la sensation que des forces puissantes transportent l'auditoire le long rie vagues de tension et de résolution. Cage réussit, dans ses oeuvres qui ont précédé Ie Quatuor à Cordes, à contourner purement et simplement le problème de l'harmonie en composant pour des ensembles de percussion, ou en composant des lignes uniques sans accompagnement. Dans ce quatuor, une forme musicale qui se prête naturellement à l'usage de l'harmonie, Cage déjoue l'inévitable sensation de progression d'un accord à l'autre en traitant chaque accord comme un son à part, distinct, et non en tant qu'harmonie au sens fonctionnel. Son premier geste, en s'attelant à la création de ce morceau, est de composer un ensemble d'accords, des accords qu'il sélectionne soigneusement en fonction de leur sonorité. Cependant, l'élément tout à fait inédit de ce quatuor réside en ce qu'il créé chaque accord indépendamment de tous les autres, sans tenir compte du contexte musical clans lequel ils se présentent. des ensuite re.s harmonies de
Il se sert de cet assemblage hétéroclite pour façonner une seule mélodie. Toute décision d'utiliser une quelconque harmonie à un moment donné du morceau est uniquement fonction de si cette harmonie contient la note qu'appelle la mélodie à ce point nommé. II n'y a, en conséquence, aucune logique harmonique ici, aucun sentiment de causalité, et la force expressive trop dominante que Cage voulait éviter est absente. La juxtaposition d'accords est essentiellement accidentelle, uniquement subordonnée à l'unique fil rie la mélodie. II en résulte une monophonie d'harmonies: "une ligne dans l'espace rythmique,"comme le dit lui-même Cage, créée par les accords de cet assemblage, tout comme on peut enfiler des perles dissemblables et façonner ainsi un Collier.
Ainsi donc l'importance du Quatuor à Cordes en Quatre Parties réside dans sa simplicité: sa plus grande réalisation est une voix de composition qui est discrète tout en étant assurée, sourde tout en étant limpide. La leçon qui à ouvert la porte sur cette multitude de possibilités, que Cage en a tiré est qu'il suffit, afin de trouver cette voix, de laisser les sons parles. Dans le Quatuor chaque accord est en soi expressif, et la puissance ries harmonies est neutralisée du fait que Cage refuse de les relier entre elles, en maintenant le silence entre les accords. Ce quatuor, bien qu'il ne contienne pas de longs silences (qui se retrouveront dans ses compositions plus tardivesl,a donné à Cage le silence qui lui était indispensable pour la composition: la liberté rie ne pas avoir à créer des connections irrésistibles entre les sons.
- Quietly Flowing Along (4:04)
- Slowly Rocking (4:40)
- Nearly Stationary (10:33)
- Quodlibet (1:24)
C° avec « Fur »
"FOUR" 1989
L e Quatuor à Cordes en Quatre Parties est la première oeuvre composée par John Cage pour un quatuor à cordes, et Four, composée spécialement pour le Quatuor Arditti, est le tout dernier. C'est une oeuvre qui fait partie d'une série de compositions créées au moyen de la même méthode, et dont le titre reflète le nombre de musiciens, par exemple Two, pour piano et flûte (19871, Twent)' three, pour ensemble à cordes (19881, et One Hundrecl.tnd One. pour orchestre (19891. Cage dit de ces compositions que ce sont des "morceaux sans partition"; il entend par là que les musiciens jouent indépendamment les uns des autres, sans partition pour coordonner les parties individuelles. Dans Four, la partition que doit jouer chaque instrument est composée de passages courts comportant des notes soutenues. La plupart de ces passages ne contiennent qu'une seule note, certains pouvant contenir que deux à cinq notes. Ces éléments musicaux simples sont ensuite insérés clans un "intervalle de temps variable," l'expression consacrée de Cage qui désigne des intervalles (le temps clans lesquels une partie donnée de la musique peut commencer et se terminer (par exemple, il est indiqué que le premier passage de chaque partie doit commencer clans les premières 22 secondes et demie. et doit se terminer quelque part clans l'intervalle situé de 15 à 37 secondes et demie après que le musicien ait commencé à jouer). Ces intervalles (durent environ 30 secondes, de telle sorte à donner aux musiciens beaucoup de souplesse pour arranger la musique qu'ils ont à jouer dans cet intervalle. Dans la mesure où les intervalles se chevauchent légèrement, il se peut que cieux phrases musicales ou plus se suivent sans interruption. En revanche, il arrive aussi qu'une pause assez soutenue se produise lorsque l'un des musiciens, ayant terminé une phrase, attend le début de l'intervalle suivant. Ces intervalles, en accordant une grande liberté rythmique vu les paramètres assez vastes, font que les relations existant entre les quatre parties sont très malléables, tout en demeurant à peu près coordonnées. L'effet produit par une composition de ce genre, de longues notes isolées, placées librement à l'intérieur de ces intervalles variables, se fait immédiatement sentir à l'écoute du morceau. Four offre une mosaïque rie tonalités en mutation constante, au fur et à mesure que les notes apparaissent et disparaissent, les quatre parties ensemble forment des harmonies sans cesse changeantes. II est possible de suivre l'évolution de ces lignes diverses, alors qu'elles sont reprises, combinées, abandonnées et retrouvées, telles des fils dans une tapisserie complexe.
Avec Four, Cage a décidé d'exploiter sa méthode <l'intervalles à l'intérieur d'un domaine musical strictement délimité, rendant à dessein impossible tout contraste fort entre les différentes parties. Les quatre musiciens jouent très doucement, très lentement et sans vibrato. En outre, les quatre parties du quatuor sont composées à partir de la même gamme relativement limitée de tonalités, de telle sorte que n'importe lequel des quatre musiciens peut jouer l'une ou l'autre ries quatre parties. Lesinstructions de Cage sur l'exécution du morceau sont conçues at in de démontrer que les parties sont bien interchangeables, et que la structure à intervalles ottre une grande souplesse. Tout d'abord, les quatre musiciens se répartissent les parties entre eux suivant leur propre désir. Ils jouent ensuite le morceau, après quoi ils échangent leurs parties et rejouent le morceau depuis le début. Le résultat est que l'on entend la même musique deux fois, mais avec des timbres légèrement différents, avec un léger déplacement des notes à l'intérieur des intervalles. L'absence de toute différentiation de la tonalité, de la dynamique et du timbre, contribue à créer la surface musicale plate, sans modulation que l'on entend. Si les parties entrelacées de Four ressemblent à une tapisserie, il s'agit en fait d'un tissu dont les teintes atténuées se situent dans les gris et les bruns.
L'austérité de Four et du Quatuor,) Cordes en Quatre Parties laisse à penser qu'il existe un lien entre ces cieux oeuvres. Elles présentent certainement plusieurs caractéristiques communes: l'instrumentation, le jeu sans vibrato, la cadence presque tigée, le calme. Ce dernier quatuor de Cage rie nous rappelle pas son premier uniquement en raison de ces affinités évidentes: c'est également parce que Cage adopte la nième méthode de composition. Dans ces deux quatuors, Cage commence par composer des moments musicaux individuels: clans le cas du Quatuor ,i Cordes en Quatre Parties, des accords, dans le cas rie Four, des
phrases courtes de notes soutenues. II les pro-jette ensuite dans le temps, dans le silence. Dans les deux oeuvres, des moments musicaux exquis se détachent, se suffisant à eux-mêmes. En étant si sensible aux profils de chaque élément constituant rie sa musique, il permet aux relations entre ces moments de se dégager naturellement, de jaillir du silence. La réunion de ces cieux quatuors sur cet enregistrement nous démontre de façon frappante et remarquablement belle que la voix de composition du silence, qui avait suscité en lui un tel enthousiasme en 1949 lorsqu'il l'avait dé couverte, ne l'a pas quitté depuis.
- Part One (15:35)
- Part Two (15:32)
C° avec string quartet
texte de Didier Descouens (email)
mailto: italianopera |